L'Ukraine perd des milliards en droits de transit, l'Europe est confrontée à une flambée des prix de l'énergie et la Russie est largement à l'abri des retombées.
Source : Responsible Statecraft, Mike Fredenburg
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
La décision du président Zelensky de ne pas renouveler un contrat de cinq ans permettant au gaz russe de passer par l'Ukraine pour être acheminé par gazoduc vers l'Europe s'ajoute à une longue liste de mesures prises par l'Europe et les États-Unis qui ont considérablement réduit la sécurité énergétique de l'Europe et gravement porté atteinte à son économie.
Et comme l'Ukraine dépend désormais de l'Europe et des États-Unis pour ses besoins en électricité et en combustibles fossiles, y compris de la Slovaquie pour l'électricité, la décision de Zelensky fera probablement plus de mal à l'Ukraine qu'à la Russie.
Une quantité importante et croissante de produits pétroliers russes est vendue à la Turquie et à l'Inde, puis transformée et revendue à l'UE, de sorte que la perte de 5 milliards de dollars de recettes annuelles (0,22 % du PIB russe de 2 184 milliards de dollars en 2024) provenant du gaz naturel transitant par les gazoducs ukrainiens aura peu d'impact sur les 240 milliards de dollars de recettes pétrolières annuelles de la Russie. Étant donné que l'Ukraine perdra environ un milliard de dollars (0,56 % du PIB de 189,83 milliards de dollars de l'Ukraine en 2024) en frais de transit annuels et que la perte d'approvisionnement en gaz de l'Europe a provoqué une flambée des prix du gaz naturel, la question qui vient à l'esprit est de savoir si la décision de Zelensky visait davantage à punir les pays de l'UE, tels que la Slovaquie et la Hongrie, qui s'opposent à l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN, qu'à faire du tort à la Russie.
Non seulement la Slovaquie et la Hongrie s'opposent à l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN, mais elles ont parfois bloqué l'aide militaire de l'UE à l'Ukraine, estimant qu'une telle aide non seulement ne ferait que retarder le rétablissement de la paix, mais de plus entraînerait davantage de morts et de destructions inutiles, augmenterait les risques de troisième Guerre mondiale et n'aurait aucun impact sur l'issue de la guerre.
Comme on pouvait s'y attendre, les agissements des dirigeants slovaques et hongrois ont suscité la colère de Zelensky, qui est bien conscient de la dépendance de ces pays aux énergies fossiles russes. La Hongrie dépend de la Russie pour 70 % de ses importations de pétrole. De même, la Slovaquie dépend du pétrole et du gaz russes acheminés via l'Ukraine pour alimenter la grande majorité de ses infrastructures de transport et pour produire une partie de son électricité.
Il n'est donc pas surprenant que la décision de Zelensky de débrancher le gazoduc qui alimente la Slovaquie en gaz russe ait incité le président slovaque Robert Fico à réagir en menaçant de suspendre les exportations d'électricité vers l'Ukraine. Il est d'autant plus logique que le président Fico profère de telles menaces qu'une partie de l'électricité produite en Slovaquie provient d'installations au gaz qui dépendent du gaz naturel bon marché fourni par la Russie.
La menace du président Fico doit être prise au sérieux par l'Ukraine, qui a perdu plus de 73 % de sa production d'énergie thermique à cause des attaques russes et qui dépend de l'électricité slovaque pour 19 % de son électricité importée. L'approvisionnement en électricité reste vital à la fois pour l'industrie de défense de l'Ukraine et pour sa population civile, qui est confrontée à de graves pénuries d'électricité au cœur de l'hiver. Il convient de noter qu'en novembre de cette année, les principales sources d'importation d'électricité de l'Ukraine étaient la Pologne, la Slovaquie, la Roumanie, la Hongrie et la Moldavie.
Il s'agit d'une situation classique à la « Catch-22 » [allusion au roman éponyme de Joseph Heller pour désigner une situation où l'on se retrouve pris au piège de deux conditions contradictoires, NdT], puisque le gaz naturel russe qui arrive en Slovaquie génère des revenus pour la Russie, lesquels seront bloqués par Zelensky, mais est également utilisé pour produire de l'électricité dont l'Ukraine a besoin.
La prise de bec entre les présidents Fico et Zelensky est l'épisode le plus récent de la saga énergétique suscitée par la guerre entre l'UE et les États-Unis d'une part et la Russie d'autre part. Bien qu'elle ait provoqué une flambée des prix du gaz naturel, elle n'est que le coup le plus récent porté à la sécurité énergétique et à l'approvisionnement de l'Europe, qui a vu les prix du gaz en août 2022 augmenter d'environ 1 500 % par rapport aux prix bon marché que l'Europe payait avant 2021. Depuis, les prix du gaz sont redescendus à « seulement » 300 % de plus que ce que l'Europe payait avant que les approvisionnements en combustibles fossiles russes bon marché, dont l'Europe bénéficiait, ne commencent à subir des perturbations en raison des sanctions imposées par l'Union européenne et les États-Unis à l'encontre de la Russie.
Paradoxalement, malgré les sanctions censées écraser l'économie russe, Moscou a continué de bénéficier d'une énergie abondante et bon marché, et a enregistré des performances supérieures à celles de l'UE et des États-Unis. En effet, le PIB de l'UE a plongé, passant d'une croissance de 3,4 % en 2022 à une contraction de 0,4 % en 2023, et son PIB pour 2024 ne devrait croître que de 0,9 %. En particulier, l'Allemagne, pierre angulaire de l'économie de l'Union européenne, a vu son PIB diminuer de 0,1 % en 2024, en raison des plans peu réalistes de transition vers les énergies renouvelables, au détriment du nucléaire et des énergies fossiles, et qui, combinés à la suppression des combustibles fossiles russes bon marché, ont porté un coup sévère à l'économie manufacturière allemande, grande consommatrice d'énergie..
Par conséquent, si l'augmentation des prix a été une aubaine pour les bénéfices des fournisseurs de gaz naturel américains qui sont intervenus pour combler une partie de l'écart, elle a gravement nui à l'économie de l'Europe. Mais l'Ukraine et l'Europe ne sont pas les seules à avoir été touchées par la guerre entre l'Ukraine et la Russie et par les sanctions imposées par les États-Unis à la Russie. Conséquence directe des sanctions et de la guerre, au cours des dernières années, les consommateurs et les entreprises américains ont fini par payer plus de 100 milliards de dollars de plus pour leur gaz naturel, parce qu'ils ont dû faire face à la concurrence de l'Europe, prête à accepter de payer plus cher pour le gaz naturel américain.
La croissance du PIB de la Russie a été affectée par les sanctions et la guerre en 2022, tombant à 1,2 %, avant de rebondir en 2023 avec une croissance de 3,6 %, puis un nouveau bond à 3,9 % en 2024. Toutefois, en 2025, l'inflation et d'autres facteurs, y compris les sanctions, pourraient faire chuter le PIB de la Russie à 2,5 %. Pendant ce temps, les États-Unis, beaucoup plus indépendants sur le plan énergétique, ont vu leur PIB augmenter de 2,5 % en 2023, puis de 2,7 % en 2024 et de 2,0 % en 2025, selon les estimations.
En résumé, si les sanctions ont sans aucun doute eu un impact sur l'économie russe, cet impact a été bien moindre que ce que les experts nous avaient assuré et la Russie ne semble pas près de s'effondrer.
Le président Fico ne considère pas la Russie comme une menace et répugne donc à prendre des mesures qui feraient de la Slovaquie un ennemi de la Russie. Il est également très préoccupé par le fait que les États-Unis continuent de faire pression pour que l'Ukraine devienne membre de l'OTAN. Dans une récente vidéo diffusée sur Facebook, Fico a déclaré : « Je comprends les souhaits de l'Ukraine, c'est un pays souverain, mais l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN ne fera que garantir qu'il y aura une troisième Guerre mondiale. » Tout en appelant à la fin de la guerre, Fico a ajouté : « Il faudra bien qu'il y ait une forme de compromis. À quoi s'attend-on ? à ce que les Russes quittent la Crimée, le Donbass et Louhansk ? C'est complètement irréaliste ». Ce ne sont pas de telles déclarations qui lui vaudront les faveurs de Zelensky..
Il est difficile de penser que Zelensky ignore le peu d'impact que sa dernière initiative aura sur la Russie et l'importance de l'impact qu'elle aura sur l'Europe. En outre, comme les coûts d'importation d'électricité et de carburant de l'Ukraine en provenance de ses voisins ne peuvent qu'augmenter à la suite de son initiative du 1er janvier, alors même que l'Ukraine perd un milliard de dollars par an en droits de transit, les mesures prises par Zelensky ressemblent fort à un geste qui le conduit à se prendre à son propre piège.
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Mike Fredenburg travaille depuis plus de 30 ans dans le domaine de la politique de défense. Ses articles ont été publiés dans de nombreuses revues, notamment The California Political Review, The San Diego Union Tribune et National Review.
Source : Responsible Statecraft, Mike Fredenburg, 09-01-2025
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises